[Tribune] Ce que Microsoft ne dit pas dans ses « engagements européens » par Alain Garnier
Alain Garnier décrypte la série d’engagements pris par Microsoft à destination des Européens. Un discours lissé qui, pour l’entrepreneur, relève plutôt de l’opération de communication bien rôdée que d’une réelle volonté de changement chez le géant américain.

Le 30 avril 2025, Microsoft publiait une série d’engagements à destination de l’Europe. Derrière un discours lisse et rassurant, Alain Garnier décrypte une opération de communication bien rodée, plus défensive que transformative. Une lecture en creux qui révèle ce que ces promesses ne disent pas.
Le 30 avril 2025, Microsoft publiait une série d’engagements à destination du marché européen. À première vue, tout se veut positif, rassurant et bien formulé.
Mais en creux, que nous disent vraiment ces promesses ? Que cherchent à obtenir les GAFAM avec ce genre de communication ?
Spoiler : sûrement pas plus de transparence ni de partage de souveraineté.
Voici une lecture en creux, point par point, de ce texte qui en dit beaucoup… par ce qu’il ne dit pas.
1. “Nous respecterons les lois européennes”
🟢 Ce que ça dit :
Microsoft affirme son engagement à se conformer aux réglementations de l’Union Européenne comme le DSA, le DMA, le RGPD, etc.
🔴 Ce que ça cache :
Ce rappel de l’évidence — respecter la loi — sert surtout à masquer une autre réalité : Microsoft reste soumis aux lois extraterritoriales américaines (Cloud Act, FISA…), qui, elles, ne sont jamais mentionnées.
Autrement dit :
“Nous montrons patte blanche à Bruxelles, mais notre maison-mère reste à Redmond. Et c’est elle qui garde les clés.”
Cette déclaration évacue le cœur du sujet de la souveraineté numérique : qui contrôle réellement l’accès aux données ?
2. “Nous mettrons en œuvre une frontière européenne des données”
🟢 Ce que ça dit :
Les données des clients européens resteront stockées et traitées en Europe.
🔴 Ce que ça cache :
Le terme “mise en œuvre” reste flou. En réalité, c’est souvent une façon de parler de l’Azure EU Data Boundary, une solution maison… donc toujours sous le contrôle juridique de Microsoft aux Etats-Unis.
Deux choses sont à retenir ;
👉 Le Cloud Act ne s’arrête pas à la frontière physique ;
👉 Localisation ne veut pas nécessairement dire souveraineté.
Ce qu’on observe ici, c’est une adaptation cosmétique, pas une remise en cause profonde du modèle en vigueur.
La solution donnée se veut locale en apparence, mais la gouvernance, elle, est toujours mondiale (et américaine).

3. “Nous serons un fournisseur de confiance pour le secteur public”
🟢 Ce que ça dit :
Microsoft veut rassurer les décideurs publics européens.
🔴 Ce que ça cache :
Sans code source ouvert, sans contrôle juridique local, sans gouvernance partagée, le mot “confiance” se vide de son sens et devient un outil marketing.
Cette déclaration vise à conserver des positions dominantes dans les marchés publics, tout en désamorçant la montée des alternatives souveraines. On joue sur la peur du changement, sur le réflexe bien connu du “on connaît déjà Microsoft”.
4. “Un conseil consultatif européen indépendant”
🟢 Ce que ça dit :
Microsoft crée un board européen pour écouter les parties prenantes.
🔴 Ce que ça cache :
Une stratégie de soft power bien connue : créer des instances de discussion « indépendantes »… mais sans garantie de transparence sur leur financement, leur composition, ou leur réel pouvoir.
C’est également une manière de court-circuiter les institutions publiques en installant un dialogue parallèle, plus favorable, plus maîtrisable.
Une façon subtile de garder la main sur le narratif réglementaire.
5. “Nous soutenons l’interopérabilité et les standards ouverts”
🟢 Ce que ça dit :
Microsoft se présente comme favorable à l’ouverture, aux standards, à l’interopérabilité entre les solutions logicielles.
🔴 Ce que ça cache :
Historiquement, Microsoft a longtemps combattu l’interopérabilité. Ce virage n’a d’ailleurs rien de spontané : il est imposé par la régulation (DMA).
Le cœur de leur modèle reste fermé, propriétaire, intégré. Et surtout : les autres doivent s’interfacer avec Microsoft, pas l’inverse.
L’ouverture, oui. Mais à sens unique.

6. Un discours très institutionnel, très “politiquement correct”
🟢 Ce que ça dit :
Un ton respectueux, coopératif, bienveillant. Microsoft joue le rôle du bon partenaire, désireux de faire progresser la situation pour le bien de tous.
🔴 Ce que ça cache :
C’est une manœuvre de désamorçage politique. En multipliant les signaux de bonne volonté, l’objectif est clair :
- Ralentir une politique industrielle souveraine ;
- Préserver l’accès aux marchés publics ;
- Rester l’option “par défaut”, même dans un climat de défiance.
Rien n’est remis en cause. Tout est fait pour que Microsoft conserve sa position dominante… en jouant toutefois davantage la carte de la coopération.
Un mouvement défensif, pas un tournant stratégique
Ce texte n’est pas un changement de paradigme.
C’est une opération de communication habile, construite comme un bouclier narratif pour bloquer une dynamique : celle d’une Europe qui reprendrait le contrôle de son secteur numérique.
Microsoft ne veut pas d’une Europe indépendante.
Ils veulent une Europe dépendante… mais rassurée : les “Américains préférés des Européens”.
A nous d’agir
La posture défensive de Microsoft est toutefois un signe avant-tout positif… car elle montre que la dynamique en France et en Europe est en train de changer.
La pression monte, les alternatives souveraines émergent et il est temps à présent pour les acteurs européens de prendre la parole.
Face à la communication bien huilée des géants américains, il est plus que temps pour les éditeurs européens, acteurs souverains et innovateurs locaux de s’affirmer, de faire entendre leur voix et de montrer, point par point, notre capacité à proposer une voie alternative.
Une voie diversifiée, souveraine et européenne.
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